CATALOGUE - XIVth Rencontres Internationales Traverse 2021, pag. 76 Rrose Present
CATALOGUE - XIVth Rencontres Internationales Traverse 2021 Traverse Vidéo- Cinémathèque Toulouse –
Valorisation du patrimoine audiovisuel et développement de nouveaux publics. Promotion of audiovisual heritage and development of new audiences.
Open Eyes in Shadow 05:00 Rrose Present / Espagne
Yeux ouverts dans l’ombre
«Ouvrir et fermer une porte.
Ouvrir et fermer les yeux.
Les phares d'une ombre illuminent le secret sous mon lit
Comme des yeux dans l'ombre.»
Ces yeux s’ouvrent sous la vigueur musicale et le free-jazz. La batterie percutante devance, en ouverture, avec des flashs de blanc et de noir, la variation iconique. D'abord si proche l’abstraction optant pour le trait, le trait de lumière en flèche sur fond noir et blanc avant des esquisses de figuration qui, elle, néanmoins, préfère l’indistinct avec ses ombres portées et l’image en négatif, le noir et blanc, le gris avant un fragment en couleur déréalisante, en marge de la teinte référentielle, puisque la colorisation en rosé, rougi ou bleu vert s’empare du champ et des objets et des membres du corps approchés. Autant d'écarts du voir, du vu, indistinct dans le rai occasionné par la porte qu’un main pousse, par la lumière entrant par le vasistas que soulève une main ; derrière les lunettes repoussées sur le front, tendues droit devant, bousculées dans le champ et suivies ou accompagnées par l'effet de cercle créé par leurs verres. Tous réitérés avec leur bruit propre lié; telle note de la limite du grave jusqu’à la limite de la sonorité du saxo ou de la batterie se lance successivement. En une non-suite narrative, les éléments surviennent plutôt en une attirance de motifs comme trouvés là, dans la marche dans l’ombre, en accord aimant avec l’improvisation enregistrée d'Oriol Perucho. Ce pionnier du free-jazz, compositeur, batterie et improvisation est mort en 2016. L’appareil-photo tenu devant par les mains avec parfois le déclic de la prise suit la logique des instruments du voir et de l’arrivée de la lumière, en autant de mouvements et de tonalités, de la grande brillance au flou; si s’immisce une petite table avec repas et verres, si se découvre le carrelage, c’est sans rupture du rythme de ce montage actif, ni même de domaine puisque tout répond aux gestes du quotidien, faits à la maison. Et, de même, que batterie et saxo créent leur morceau virtuose, le suivi de ces « notes domestiques » leurs superpositions forment une partition. En conviant le free-jazz, l'artiste déborde la limite du lieu, elle entre dans la pulsation libre et l’énergie du multiphonisme- plusieurs notes produites en même temps. En signant Rrose Présent, elle s’éloigne aussi et différemment d’un « je » limité à la maison, elle ne s’y portraitise pas mais fait acte poétique. Le double Rr du prénom immanquablement attire vers Duchamp qui le prend comme hétéronyme avec Sélavy dans le plaisir répété de la phrase, et qui simultanément, atteste l’option artistique: il pose, avec ce nom, pour Man Ray, en 1920, avec chapeau à galon ou à plumes, col de manteau relevé et colliers féminins et il en signe, au moins, trois ready-made. Rrose Présent, elle, convie la double face du réel filmé, retravaillé qui se mêle alors de l’invention. Elle donne ainsi paradoxalement, puisqu’en reflet léger, en ondes colorées, de la densité à ce qui est autourprésent. A la Duchamp, elle jouer sur les mots de présent et de re-présentation même si le mouvement en musique refuse cet arrêt
Simone Dompeyre